... MAIS ELLE PERDURE, LA FOLIE

photographie: mat jacob

mardi 15 novembre 2016

Parler seul

insensé voici l'homme aux crispations de cristal
à la rumeur de sable au passé de poupée
à la démarche creuse dans un lit de détresse
et cependant présent au passage du printemps

homme tant qu'il passe son arrêt est de mur
mur de lourdes épaules
et voilà que la lumière est noire
le soleil de sel
l'eau ne désaltère plus les regards des enfants
leurs paroles sont de bois
la voix ne se reconnaît plus
dans l'entrebâillement de leurs gosiers de ciel
et comme justice au fonds du puits se reflète la vraisemblance
l'or terni des fuites d'été
la franchise de leurs faims

chiens qui hurlez démesurées vacances
chiens qui tirez la langue
qui tirez sur la corde jusqu'à perdre l'allure pluvieuse
aux yeux de chanvre
perdus perdus dans une fourrure
chiens qui trompez la nuit
dans le puits de la justice véritable eau forgée
et perdez le fer aux pierres scintillantes des parois
come cela ne s'est encore jamais vu
horreurs détresses visages passés repassés trépassés
de terre de potasse de fumée vitreuse
boue boue à l'horizon
rien que boue où nous accostons
et îles de vertiges herbeux
les pavés sont déserts les amours malaisés
pourquoi aimer rien qu'avarice
et partout le vide la transparence risible du ravin
homme parmi les hommes et le fossé devant
le vent dessous et de chaque côté le silence
tu es entré vivant dans la demeure de la tendresse morte
et dans chaque pas
tu t'es reconnu comme réponse alléchante
le monde n'a pas changé pour toi de cendres
ni l'angoisse ne s'est crucifiée
un peu plus un peu moins c'est toujours le poids des vitres
qui pèse sur ton front obscur
mais tu es clair aux heures qui te ressemblent
marchant parmi tes pas que compte la balance
aux ans étoilés sur l'arbre des douleurs

enfermé dans l'horizon des voix
il n'y a pas de mur qui résiste à ta chaude mémoire
face à la  voix rompue
les rats peuvent courir entre tes jambes
l'herbe fine n'a pas fini d'échapper à ton appel
avec un bruit invisible sur la bouche et les doigts
tu es sorti vivant


 Tzara, vers 1920, photographe inconnu

confer: Parler Seul extrait de  Parler Seul,  in Poësies complètes, pp 1308/1309 (Mille & une pages/Flammarion) Tristan Tzara




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