... MAIS ELLE PERDURE, LA FOLIE

photographie: mat jacob

dimanche 10 janvier 2016

America



Amérique je t'ai tout donné et maintenant je ne suis rien.
Amérique deux dollars et vingt-sept cents le 17 janvier 1956.
je ne peux pas supporter mon propre esprit.
Amérique quand finirons-nous la guerre humaine ?
Va te faire foutre avec ta bombe atomique.
Je me sens mal fous moi la paix.
Je n'écrirai pas mon poème avant que d'avoir toute ma raison.
Amérique quand seras-tu angélique ?
Quand te déshabilleras-tu ?
Quand te regarderas-tu à travers la tombe ?
Quand seras-tu digne de tes millions de Troksystes ?
Amérique pourquoi tes bibliothèques sont-elles pleines de larmes ?
Amérique quand enverras-tu tes oeufs aux Indes ?
Je suis malade de tes exigences insensées.
Quand pourrai-je aller au supermarché et acheter ce dont j'ai besoin sur ma bonne mine ?
Après tout, Amérique, c'est toi et moi qui sommes parfaits pas le monde futur.
Ta machinerie est trop pour moi.
Tu m'as donné l'envie d'être un saint.
Il doit exister une autre façon de régler cette querelle.
Burroughs est à Tanger je crois qu'il ne reviendra pas c'est sinistre.
Es-tu sinistre ou est-ce là quelqu'autre mauvais tour ?
J'essaie d'en venir au fait.
Je refuse d'abandonner mon obsession.
Amérique arrête de pousser je sais ce que je fais.
Amérique les fleurs des pruniers tombent.
Je n'ai pas lu les journaux depuis des mois, tous les jours on juge quelqu'un pour meurtre.
Amérique je me sens sentimental envers les Wooblies.
Amérique étant môme j'étais communistes je n'en suis pas désolé.
Je fume de la marijuana chaque fois que je peux
Je reste assis chez moi à longueur de journées et fixe les roses dans l'armoire.
Quand je vais à Chinatown je me saoûle et ne baise jamais.
Ma décision est prise va y avoir du grabuge.
Tu aurais dû me voir lisant Marx.
mon psychanalyste pense que je vais parfaitement bien.
Je ne dirai pas le Notre Père.
J'ai des visions mystiques des vibrations cosmiques.
Amérique je ne t'ai toujours pas dit ce que tu as fait à l'oncle Max après son arrivée de Russie.

Je te parle.
Vas-tu laisser Time Magazine diriger ta vie émotionnelle ?
Je suis obsédé par Time Magazine.
Je le lis chaque semaine.
Sa couverture me fixe chaque fois que je me faufile devant le magasin du coin.
Je le lis dans le sous-sol de la Bibliothèque Municipale de Berkeley.
Ca me cause toujours de responsabilité. Les hommes d'affaires sont sérieux. Les producteurs  de films sont sérieux. tout le monde sérieux sauf moi.
L'idée me vient que je suis l'Amérique.
Me voilà encore qui me parle à moi-même.

L'Asie se soulève contre moi.
Je n'ai pas l'ombre d'une chance de Chinois.
J'aurais intérêt à considérer mes ressources nationales.
Mes ressources nationales consistent en deux joints de marijuana des millions de testicules une littérature privée impubliable qui fonce à 1400 miles à l'heure et vingt-cinq mille asiles d'aliénés.
Je ne dis rien de mes prisons ni des millions de sous-privilégiés qui vivent dans mes pots de fleurs sous la lumière de cinq cents soleils.
J'ai aboli les bordels de France, Tanger est le prochain sur ma liste.
Mon ambition c'est d'être président en dépit du fait que je sois catholique.
Amérique comment puis-je écrire une ode sacrée dans ton humeur nigaude ?
Je continuerai comme Henry Ford mes strophes sont aussi personnelles que ses automobiles plus même toutes sont de sexe différent.
Amérique je te vendrai des strophes 2500$ pièce 500$ de reprise sur ta vieille strophe
Amérique libère Tom Mooney
Amérique sauve les Loyalistes Espagnols
Amérique Sacco et Vanzetti ne doivent pas mourir.
Amérique je suis les Scottsboro Boys.
Amérique à sept ans mamma m'emmena a des réunions de cellules communistes ils nous vendirent des garbanzos une main pleine le ticket un ticket coûtait un nickel et les discours étaient gratuits tout le monde était angélique et sentimental à l'égard des travailleurs tout cela était si sincère tu n'as pas idée quele bonne chose c'était le parti en 1835 Scoot Nearing était un grand vieux bonhomme un vrai mensch Mère Bloor m'a fait chialer une fois j'ai vu Israel Amter de mes yeux. Ca devait tous être des espions.
Amérique tu ne veux pas vraiment aller à la guerre.
Amérique c'est ces méchants russes.
Ces russes ces russes et ces chinois là. Et ces sales russes.
La Russia elle veut nous bouffer vivants. la Russia elle ivre de puissance. Elle veut choper nos voitures dans nos garages.
Elle vouloir prendre Chicago. Elle avoir besoin d'un Reader's Digest Rouge. Elle vouloir nos usines d'autos en Sibérie. Lui grosse bureaucratie gérant nos stations-service.
Ca pas bon. Ugh. Lui forcer Indiens apprendre à lire. Lui besoin grands nègres noirs. Hah. Elle nous faire bosser seize heures par jour. Au secours.
Amérique ceci est très sérieux.
Amérique c'est l'impression que j'ai en regardant dans le poste de télévision.
Amérique est-ce correct ?


J'aurais intérêt à me mettre tout de suite au boulot.
C'est vrai je ne veux pas m'engager à l'armée ou tourner le tour en usine de pièces de précision, je suis myope et psychopathe de toute façon.
Amérique je mets ma foutue main à la pâte.



America, poëme de Allen Ginsberg (1956), traduit de l'américain par Robert Corbier & Jean-Jacques Lebel, extrait de Howl & other poems, Christian Bourgois éditeur, pp.50/57

confer: question de traduction, éclairage intéressant de Pascale Cormier, quant à l'ultime vers du poëme...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire