Je suis assis depuis des années au grand carrefour, mais je devrai quitter ma place demain, parce que le nouvel empereur arrive. Je ne me mêle à rien de ce qui se passe autour de moi, tant par principe que par répugnance. Il y a bien longtemps que j'ai cessé de mendier; les vieux passants me donnent quelque chose par habitude, par fidélité, parce qu'ils me connaissent, les nouveaux venus suivent leur exemple. J'ai une petite corbeille, posée à côté de moi, dans laquelle chacun jette ce qu'il juge bon de donner. Mais c'est justement parce que je ne m'occupe de personne, parce que je garde une âme et un regard sereins au milieu du tapage et de l'absurdité de la rue, que je comprends mieux que quiconque tout ce qui concerne ma position, mes exigences justifiées. C'est pourquoi ce matin, quand un agent de police, qui me connaît naturellement, mais que, tout aussi naturellement, je n'avais encore jamais remarqué, quand cet agent de police s'est arrêté devant moi et m'a dit: "C'est demain l'arrivée de l'empereur, ne t'avise pas d'oser venir ici", je lui ai répondu par cette question: "Quel âge as-tu ?"
in Journal, 3 août 1917
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