... MAIS ELLE PERDURE, LA FOLIE

photographie: mat jacob

samedi 12 décembre 2015

Angles phosphoriques de l'ombre...

 L'anéantissement intermittent des facultés humaines : quoi que votre pensée penchât à supposer, ce ne sont pas là des mots. Du moins, ce ne sont pas des mots comme les autres. Qu'il lève la main, celui qui croirait accomplir un acte juste, en priant quelque bourreau de l'écorcher vivant. Qu'il redresse la tête, avec la volupté du sourire, celui qui, volontairement, offrirait sa poitrine aux balles de la mort. Mes yeux chercheront la marque des cicatrices; mes dix doigts concentreront la totalité de leur à palper soigneusement la chair de cet excentrique; je vérifierai que les éclaboussures de la cervelle ont rejailli sur le satin de mon front. N'est-ce pas qu'un homme, amant d'un pareil martyre, ne se trouverait pas dans l'univers entier ? Je ne connais pas ce que c'est que le rire, c'est vrai, ne l'ayant jamais éprouvé par moi-même. Cependant, quelle imprudence n'y aurait-il pas à soutenir que mes lèvres ne s'élargissent pas, s'il m'était donné de voir celui qui prétendrait que quelque part, cet homme-là existe ? Ce qu'aucun ne souhaiterait pour sa propre existence , m'a été échu par un lot inégal. Ce n'est pas que mon corps nage dans le lac de la douleur; passe alors. Mais l'esprit se dessèche par une réflexion condensée et continuellement tendue; il hurle comme les grenouilles d'un marécage, quand une troupe de flamants voraceset de hérons affamés vient s'abattre sur les joncs de ses bords. Heureux celui qui dort paisiblement dans un lit de plumes, arrachées à l poitrine de l'eider, sans remarquer qu'il se trahit lui-même. Voilà plus de trente ans que je n'ai pas encore dormi. Depuis l'imprononçable jour de ma naissance, j'ai voué aux planches somnifères une haine irréconciliable. c'est moi qui l'ai voulu; que nul ne soit accusé. Vite, que l'on se dépouille du soupçon avorté. Distinguez-vous, sur mon front, cette pâle couronne ? Celle qui la tressa de ses doigts maigres fut la ténacité. tant qu'un reste de sève brûlante coulera dans mes os, comme un torrent de métal fondu, je ne dormirais point. (...)


Isidore Ducasse, aka Comte de Lautréamont... extrait du Chant Cinquième, in Les Champs de Maldoror cf: Oeuvres complètes (José Corti) pp.294/295


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