... MAIS ELLE PERDURE, LA FOLIE

photographie: mat jacob

dimanche 3 janvier 2016

Appel à la désertion...


         Il n'y a pas de pensée spécifiquement féminine, il n'y a ici ou là que des êtres se sentant obligés d'enfreindre les limites qu'on leur a assignées. Que ces êtres soient des femmes ne change rien à l'affaire. Suffit-il que celles-ci aient été toujours tenues à l'écart, pour qu'elles se reconnaissent aujourd'hui dans cet écart ? Le paysage où nous avançons ne s'enrichit que de nos départs. Tout étant en place pour que nous restions en place, nos chances de parcours se confondent avec les ponts que nous jetons au-delà de nous-mêmes. Notre seul espoir d'en finir avec la vie telle qu'elle est caricaturalement, réside dans cette détermination de forcer les perspectives jusqu'à ce que surgisse l'horizon symbolique, se déployant entre les ombres croisées des mots et des choses, de la chair et du langage mais aussi du masculin et du féminin. Voilà assez longtemps que nous vivons à côté de nous-mêmes pour ne pas suspecter tout ce qui, en son principe, sépare. C'est autant un problème politique que poëtique, tout entier posé dans cet apologue zen, fort connu : Kikakou ayant dit: " Une libellule rouge - arrachez-lui les ailes - un piment", Bashô y substitua: "Un piment -mettez-lui des ailes - une libellule rouge." Et c'est pourquoi je m'inquiète de ce que, se découvrant mutilée, la parole féminine ait dû se faire mutilante.

  extrait de Vagit-prop, lâchez-tout, et autres textes, pp.46/47, Annie Le Brun, Ramsay/J.J. Pauvert


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