... MAIS ELLE PERDURE, LA FOLIE

photographie: mat jacob

samedi 4 octobre 2014

Attention...

Les têtes se tournent se détournent se retournent
au bruit du frein
Telle est la réalité
Telle est sa seule propriété.
Ida propriétaire de songe catapultée
partie en l'air
cette ébauche de forme humaine dans le scintillement des lumières
c'est Ida: la morte
Non-propriétaire.
Elle se réjouissait tant de son balcon
Elle s'en faisait un plaisir à l'avance.
Vol plané
Huit à neuf mètres plus loin
Et tout retombe dans le silence
Dans l'ombre.
Y avait-il eu quelque chose ?
Ils l'ont mise à la fosse commune
De la morgue à la fosse commune
Dernière et lente promenade de la Chose-Ida
Anciennement personne
En tout cas solitaire
D'une grande d'une immense solitude. D'une solitude sans fond.
Ils l'ont mise à la fosse commune - voix dédaigneuse.
Ida coupable de pauvreté.
De n'être pas propriétaire.
Coupable aussi d'avoir refusé le Rêve-propriété.
Elle ne voulait pas rêver.
"C'est une rêveuse, elle vit en rêvant."
Allons donc. Bien au contraire.
Ses pieds. Ses fameux pieds
S'arrêtent net
Sous la grande porte cochère. La voûte d'entrée au 
Délire
Brutalement
A crier
A s'empoigner
La réalité atroce s'impose à la clairvoyance.
Impossible
Elle ne peut passer d'un monde à l'autre.
De la non-possession à la possession.
Il y a une impossibilité totale qui la submerge en flot de désespoir froid - qui la glace.
Elle prenait des pilules pour dormir. Elle se droguait. Mon dieu. Ele en est à ce point. A force de vouloir dormir.
Ne plus pouvoir. Bien réveillée. Trop réveillée.
Les yeux brillants de la fièvre intérieure
pour percer l'obscurité de la chambre
genre hôtel de dernier ordre.
- Je m'en fous. Pense-t-elle.
(Du balcon ?)
Elle ne l'aurait pas dit ainsi. Mais elle le pense.
Puisqu'elle a la fièvre.
- Elle se levait avec la fièvre. Elle prenait des comprimés tous les matins. pour la fièvre.
Elle commençait le travail avec la fièvre.




On voit les gens aller venir. Puis on découvre qu'ils sont des malades bons pour les cliniques. Ils travaillent ils mangent ils parlent. Puis on découvre qu'ils sont des pourvoyeurs d'hôpitaux. Avec des somnifères la nuit. Comprimés anti-fièvre le jour.
Avec eczéma.
Elle avait une pommade et enveloppait ses bras et ses mains chaque soir.
On les voit aller-venir. Puis on apprend qu'ils tiennent (debout) à coups de bandelettes de bandages de pansements de produits pharmaceutiques
Des représentants en pharmacie.
Sans sommeil. Avec fièvre. Avec eczéma. Avec calmants. Contagieux. Avec soins. Avec vaseline. Avec tubes et petits pots.
Des laboratoires ambulants.
Des sujets d'expérience en promenade dans les rues de la ville.
Ida vivait. Comme eux. Comme des centaines de milliers. Maintenant elle ne vit plus.
Cet hôpital ambulant. Ce laboratoire ambulant.
C'est Ida.
Cet hosto camouflé
Avec manteau remarqué.


Ils ont tout mis sur le balcon. Le balcon de rêve. Le balcon panoramique. Sud imprenable. Soleil à volonté. Avec store chatoyant. Fleurs ouvertes dans la verdure. Chaleurs larges. tables ombragées. Ouvragées. De fer forgé.
C'est là que gisent en morceaux les angoisses de Ida.
Ces chiffons empilés dans les sacs de plastique
Plus tristes encore que le cadavre
Les paires de chaussures à la débandade
Les restes de
Ida       Morte



in Ida ou le délire, pp 75/78, Hélène Bessette, Laureli/Léo Scheer


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire