Aujourd'hui, Maintenant, Expérience
Je suis habité par les morts: nourri, lavé, soigné par les morts. Les morts à moi sont heureux et placides. Leurs ombres s'écoulent lentement dans ma durée creuse et me bercent de leurs molles rengaines. J'aime écouter en dormant leurs appels sourds-muets. Que pourrais-je pour aider tous ces morts qui m'habitent ? Je leur suis reconnaissant d'avoir choisi mon cercueil ambulant pour demeure. Mais ils se contentent de si peu... Ils sont faits pour donner. En souriant, ils m'offrent leurs vieilles peurs, leurs vieux coeurs, leur vieux sang. Ils pansent mes vieilles plaies. Ils entretiennent mes oublis. Ils me comblent de lacunes. Que ferais-je sans leurs yeux perce-visages, sans leurs bouches perces-paroles?
Le plus sombre, le plus silencieux d'entre mes morts, est mon Mort protège-vie. C'est Lui qui veille, écrit, dessine et peint à ma place. Je lui sers d'escalier, d'atelier, de chevalet, de valet. Son attente imprègne toute ma personne. Son ombre est immense et timide.
Comment contenir tant de morts sans éclater de patience ? Et qu'attendent-ils de moi, eux, qui m'habitent, qui me comblent et me gâtent ?... Mon crépuscule ! Me traverser, me vider de mes lieux !
Propre, balayé par la peur, mort bien portant moi-même, je m'en irai avec eux, loin dans le temps, habiter un poëte impossible à venir.
in La Parole Qui Me Porte, Paul Valet, Table Rase, pp 85/86, Poësie/Gallimard
Pendant qu'un mot ne s'écrit pas d'autres s'allongent par-delà nuit morose phylactères à l'origine évanescence navré d'existence en un point qui ne vient pas lèvres discrètes à la riposte après l'incarnat - horizon - poussière pour poussière un abandon lisière à l'oraison confusion d'évidence, cette tension même.
Iridescence clinique à la nuit vaine quelle inférence limite songe scélérat d'errance en entrave circonscription intime voir l'ailleurs spectrale frontière adverse & subliminale à cette chimie ombre quelque souvenir du Verbe et d'éléments las parmi les épatements à l'aveugle ravissement Iridescence
(...) Je me pends à l'envers, traverse à toute allure la moitié de mon corps en remontant à partir de la tête et m'arrête entre l'entre-jambes et l'entre-fesses où j'entre dans la seconde moitié. Je coule mes mains en présentant les paumes au-dessus dans l'orifice arrière. Je me poste à l'extrémité de mon doigt le plus long à gauche comme à droite et j'observe. Je retire le contenu de mes oreilles pour y placer un maximum de matières que je laisse reposer. Je décolle tout le pourtour du haut des épaules pour y glisser le bas de mon corps et je fais des mouvements. J'abaisse mes genoux jusqu'à mi-mollets. Je tords ou plie soigneusement le bord mou de mon oreille pour obtenir un effet de volume et le rendre plus rond, plus charnu, plus malléable. J'obtiens un agencement plus harmonieux des muscles et des nerfs en passant vite fait derrière les uns et les autres une main trempée dans des liquides. J'observe un canal ménagé dans l'épaisseur de la paroi abdominale en m'y enfonçant la tête la première et en laissant derrière moi tout un tas de saloperies. Je range avec soin l'arrière et le dessus de mon crâne à l'intérieur de mes joues. J'expose en y mettant les bras jusqu'au coude un endroit brûlé de mon épaule où la peau se déchire. Je donne à mon regard un aspect huileux. Je plaque un morceau de mon dos contre ma figure puis celle-ci entre le dessous de la peau de mon ventre et la paroi externe de mon estomac. J'introduis tout ou partie de mon bras dans l'intervalle entre deux orteils de mon pied indifféremment gauche ou droit. Je retire du milieu de mon crâne en partant du haut l'équivalent en poids d'un petit corps comme on en a dans les premiers moments de la vie. Je réduis la densité des matières à la jonction de l'épaule et d'une partie plus grasse et plus renflée du biceps. Je redéfinis plus nettement la limite entre l'épaule et le bras. J'écrase et gonfle alternativement les deux yeux. Je recentre toutes les extrémités de mon corps en les enroulant. Je mets mon oeil droit dans mon oreille droite, mon oreille droite dans ma bouche, ma bouche dans mon oreille gauche, mon oreille gauche dans dans mon oeil gauche et mon oeil gauche dans mon oeil droit, puis j'annule tout pour effectuer l'opération inverse. Je crée des angles pour entraver la circulation des fluides. Je redirige vers les parties basses de mon corps ce qui se serait naturellement répandu dans les parties hautes par l'effet de la dynamique interne. Je mets sous ma peau les boutons qui étaient dessus. Je place dans d'autres sacs urine et excréments sur le point d'être évacués. J'emmagasine. Je stocke. Je m'arrange pour ce qui était en quantité suffisante soit en surplus et crée une aspiration et des courants nouveaux en ménageant des issues là où il n'y en avait pas. Je nettoie à la main les organes vides et avec des lingettes les parties désertes de mon corps. Je classe et range autrement les os du bas de mon corps. J'organise ma main. Je verse et répands des larmes par d'autres voies que mes yeux. Je plie et déplie ma langue à volonté.
Extrait de J'entre in quélen = enqulé (éditions louise bottu) pp45/49 Dominique Quélen
Frontière un univers ellipses fracture molécules en jachère rien qu'une nuit élan incertain écart cet interstice faille amère invective rien qu'une nuit alphabet érode après inconstance en pleine inconscience nue rien qu'une nuit torrent d'affronts en la descente ici lointaine par-delà même rien qu'une nuit.
de plusieurs membres de la même famille conduits le même jour dans un service d'aliénés, atteints de monomanie et dont le délire offre exactement le même caractère. En interrogeant l'un de ces malades on sait par avance quelles sont les conceptions délirantes des autres. Si dans le cas dont nous parlons on obtient des renseignements, on apprend que la folie n'a pas éclaté simultanément chez tous les malades, mais qu'elle a été antérieure de plusieurs mois chez l'un d'eux et qu'elle s'est ensuite peu à peu communiquée aux autres. C'est ainsi que M. Baillarger a pu voir "le délire transmis de la mère à la fille, puis de la fille à son frère, enfin du fils à son père."