mercredi 11 octobre 2023

Une canne

 Ils s'embrassent. C'est une étreinte de rue, profondément. Elle tient dans sa main une canne. Elle le tient par le cou, presque par la joue, d'une main, et, de l'autre, celle qui a la canne, le serre à l'épaule. Il est de dos et comme un dos, il pourrait rester de dos toujours, avec simplement cette canne, queue raide pas à lui, passée par-dessus bord. En regardant mieux, plus près plus long, on voit qu'elle ne tient plus la canne qu'à quelques doigts, que sa main de canne est tout entière rivée à l'épaule, dévouée aux retrouvailles. Et si la canne n'était cet appendice machinal, cette habitude et cette dizaine d'années, et si son épaule à lui ne la tenait pas non plus - sans chercher d'ailleurs mais par l'effet de la pression - on aurait pu voir, dans la rue, ce matin-là, tomber une canne, du haut serré d'une étreinte. 

extrait de Ce que m'a soufflé la ville, pp78/79, Milène Tournier, Le Castor Astral

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