Ici comme ailleurs, se défendre c'est prendre le risque de s'épuiser encore un peu plus. Or trouver à rendre les coups viendra forcément d'un corps vivant, c'est-à-dire d'un corps enfin respirant, qui cesse de s'abîmer. (C'est peut-être comme ça aussi qu'on pourrait regarder le mouvement des Gilets Jaunes: les gens avaient, ont à faire entendre l'évidence de quotidiens asphyxiés, et souvent ils ont perdu beaucoup juste en se défendant contre la situation économique et morale qui leur est faite; ce que beaucoup ont gagné pourtant, c'est un certain goût de l'action solidaire, de l'importance de politiser leurs épuisements, et de la parole vraie, fraternellement échangée - la parole qu'on ne prend pas forcément pour apparaître, mais pour "être vivant et le savoir". Cette parole a vite été reprise évidemment, mais l'expérience d'avoir parlé-respiré cet air-là est imprenable: le bonheur qu'il y aura eu à parler, se parler, et, parlant, entre-vérifier une humanité, est imprenable. "Ce ne sera désormais plus vivre que vivre en aliénant sa parole")
On entend pas mal de gens parler d'appel d'air, émancipation, souffle commun; mais pas tant que ça qui parlent en vue du respirable, qui parle respiramment; qui en parlant puissent ouvrir un peu les vannes, pousser la porte, soulever le souffle sans le garder pour eux ni faire gentiment la leçon - sans vouloir clouer le bec à peu près à tout le monde et arrêter le flux vivant de la conversation.
Extrait de Respire, pp 110/111, éditions Verdier, Marielle Macé
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire