jeudi 27 avril 2023

Horizon quel ?

Soudain tout s'efface, une image émerge, la nausée me renverse. Je recrache un raisin, une cerise rouge. J'ai été piégé. On m'a mis l'entonnoir à histoires, ils m'ont fait avaler le cauchemar, je n'entends plus que le bruit du lave-linge. Et dire qu'il a survécu aux premiers tours. Où courir ? Et dire qu'il nous a regardés à travers le hublot. Le concepteur de la machine n'a pas dû penser à cette éventualité, et dire que je parle et que l'eau de lavage a étouffé son dernier mot. Derrière moi, on met à jour, on relit les gros titres, on écume, on se complait, on montre le portrait. Tant de silences, la violence inouïe de cet instantané, caché, de cette photographie que tant de victimes ne peuvent pas exhiber, mais de ces clichés qu'ils prennent dans leur douleur sans mot.

Ce que l'écorce me dit de l'arbre. Ce que l'arbre me dit du bois. 

Ils me brandissent des faits évidés, avant la sieste, je pars dans ma chambre noire, développer trop longtemps les clichés oubliés tendus par ce nouveau mort, tentant de me souvenir de celui que je n'ai pas connu. 

Extrait de La cité dolente, Lanskine - collection poche, pp.52/53, Laure Gauthier

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