Vêtue je marche, vierge de ce voyage.
Puis le désir presque innommable revient.
Même là, je n'ai rien contre la vie.
Je connais bien des brins d'herbe dont tu parles,
les meubles que tu as disposés au soleil.
Mais les suicidés ont leur langue à eux.
Comme les menuisiers, ils veulent savoir quels outils.
Ils ne demandent jamais pourquoi construire.
Par deux fois je me suis révélée si simplement,
j'ai possédé l'ennemi, mangé l'ennemi,
ai fait miens son art et sa magie.
Ainsi, lourde et pensive,
plus chaude que l'huile ou l'eau,
je me suis reposée, bavant devant l'orifice.
Je n'ai pas pensé à mon corps sous la pointe de l'aiguille.
Même la cornée et ce qui restait d'urine avaient disparu.
Les suicidés ont déjà trahi le corps.
Morts-nés, ils ne s'éteignent pas toujours,
mais éblouis, ils ne peuvent oublier une drogue si douce
qui attirerait et ferait sourire jusqu'aux enfants.
Fourrer toute cette vie sous ta langue !
cela, en soi, devient une passion.
La mort est un os triste; meurtri, dirais-tu,
elle m'attend pourtant, année après année,
pour défaire si délicatement une vieille blessure,
débarrasser mon souffle de sa prison mauvaise.
Là, en funambules, les suicidés se croisent parfois,
rageant contre le fruit, une lune gonflée,
délaissant le pain qu'ils ont pris pour un baiser,
laissant le livre ouvert par inadvertance,
une phrase en suspens, le téléphone décroché
et l'amour, peu importe lequel, une infection.
Vouloir mourir extrait de Tu vis ou tu meurs Anne Sexton traduction Sabine Huynh, in Anne Sexton, Tu vie ou tu Meurs, Oeuvres poëtiques (1960-1969) pp 280/281, des femmes éditions.
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