57
Ma mère préférait, aux échanges articulés des adultes, la communication instinctive des fous et des enfants. Avec eux elle se sentait plus à l'aise ; à l'abri de l'inévitable malaise qui surgirait dès qu'elle se mettrait à parler.
Dans son entretien qu'elle nomme article, les fous et les enfants communiquent, à travers l'art brut. Cette forme d'art désarticulée, dépourvue de ruse et d'adresse, lui offre un parler ambigu et sauvage qu'elle comprend sans médiation. "Art obsessionnel démarche personnelle, cachée, secrète et non commerciale". Evoquant l'un de ses représentants , elle l'appelle indifféremment "Raymond Isidore" ou "Isidore Raymond".
L'art brut, où s'échangent les noms et les prénoms - cet art sans nom, au bord de l'anonyme, cette forme trop pleine ou trop vide, cette obsession qui abrita du malheurs femmes folles et innocents - inspire à ma mère ses phrases les plus justes, les seules qui soient enfin complètes, et construites. "S'il a fait de l'assiette brisée son matériau de prédilection, c'est qu'il s'y est reconnu. Ce qui inspire Raymond Isidore, ce n'est pas l'assiette, c'est son débris. L'enfant d'un ménage brisé, brisé par la société, il a retrouvé dans cette porcelaine martelée une image de lui et de ses désirs."
Extrait de L'agent de liaison, Hélène Frappat, Allia, p.88
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire