lundi 19 mars 2018

Nuis à la nuit...

"(...) Je ne connais que l'excès. Certains me diront qu'il est amplement temps d'agir. Que réfléchir ne suffit plus. A ceux-là je répondrai que la révolution sans pensée ne rime à rien, n'entraîne qu'une barbarie dont bien des exemples du passé devraient nous conduire à une certaine prudence. En gros, pas de mouvement sans une pensée qui le précède et le porte. Je veux venger ma race écrivait Annie Ernaux. C'est effectivement tout un peuple qui a besoin des livres pour se libérer du joug de la bêtise ambiante, de la soumission. J'écris donc je nuis à la nuit, voici mon leitmotiv. La bourgeoisie écrit pour la bourgeoisie. Le peuple contre, sinon qu'il s'arrête de le faire. L'enfer est devant nous. Que puis-je faire, moi, demi-clochard, pour remédier à la médiocrité assassine. La rue devient violente. La vie injuste et cruelle.  Il me semble qu'un artiste qui se respecte jouera jusqu'au bout les prolongations dans la seule perspective de vaincre l'obscurantisme au pouvoir. Ami, éteins donc ta télé et ouvre un livre. Ami, n'écoute pas les fossoyeurs et leurs youyous hystériques. Ami, je voudrais que de mes mots jaillissent des lames de rasoir pour trancher la gorge des traîtres au pouvoir. Les grands littérateurs furent tous des hommes d'action, à Rabelais de moquer, à Beckett de tourner en dérision la nuit de l'être esclave, à Céline de cracher sur la guerre, la colonisation, le capitalisme. Action dans les livres. Action dans les films et les toiles. Je dirai le cancer de l'être-sans, de l'être-larve. Je dirai la misère. J'écrirai avec mon sang s'il le faut, la certitude que l'on doit se réveiller avant la nuit totale qui engendrera le chaos. J'écris pour tuer, et pour que ces meurtres à l'encre sauvent ce qu'il y a encore de sauvable."

in Un homme pend (Le Feu Sacré)  Jérôme Bertin p.41

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