Je vais répandre un secret
qui est défendu par l'inutilité et l'inattention,
un secret sans mystère ni serment,
un secret né de l'indifférence seule;
il persiste dans les habitudes des hommes et des couchants,
préservé par l'oubli, mode le plus pauvre du mystère.
Il y eut un jour où ce quartier fut une amitié,
un argument d'aversions et de prédilections, comme les autres choses d'amour;
foi qui subsiste à peine
dans quelques traits dispersés et menacés:
dans l'ancienne chanson qui se souvient des Cinq Rues,
dans le patio, rose ferme sur les murs croissants,
dans l'enseigne décolorée qui dit encore "La Fleur Du Nord".
dans les hommes d'almacén, de guitare et de truco,
dans la mémoire arrêtée de l'aveugle.
Cet amour épars est notre secret découragé.
Une chose invisible est en train de s'étranger du monde,
un amour pas plus large qu'une musique.
Le quartier nous échappe,
les petits balustres de marbre trapu ne nous confrontent plus avec le ciel.
Notre amour pâlit sous de chagrines lâchetés,
l'étoile d'air des Cinq Rues est autre.
Mais sans bruit, mais toujours,
dans des choses isolées, perdues, comme le sont toujours les choses,
dans le gommier au sombre ciel veiné,
dans le plat à barbe qui reçoit le premier soleil et le dernier,
persiste ce fait animal et dévoué,
cette loyauté obscure que divulgue ma voix:
le quartier.
Borgès Quartier Nord pp.77/78 in Oeuvre poëtique 1925-1965 (Poësie/Gallimard) mise en vers français par Nestor Ibarra
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