La bière, les bières, sortent une à une du frigo, puis directement du carton. Elles se posent toutes seules sur la table, par terre. Elles s'accumulent, menaçantes. Puis roulent, déglinguées, valsent, vertes, se brisent en émeraudes que je ramasserai, ma collection est belle, elle brille d'éclats.
Le temps est à l'orage, de mon lit, je me prépare à l'entendre gronder, à voir frapper la foudre et je sens la pression, l'électricité dans l'air, qui force sur les murs, qui veut s'arracher du sol en un éclaire de rage, libérant les affronts. Les vitres ne font pas les fières, elles trinquent à la peur de trinquer et se dissimulent derrière les nuées de fumée. On palpe l'atmosphère, grasse mer d'huile tendue reflétant les orages qui claquent au loin.
Je sais, il faut que ça éclate, pour qu'il puisse subir, encore subir demain. Pour qu'il puisse y aller, y retourner pour nous. Afin que tout recommence encore, qu'il ne tombe pas, qu'il ne lâche pas l'affaire, que l'eau du bain ne m'emporte pas comme du bois flotté par le Rhône à grands flots et sans panier d'osier pour être sauvé plus bas, je n'ai plus de bouée, maman est morte déjà. Il faut que ça lâche, que ça craque de toute part, éclate en éclairs, que la violence s'abatte et déchire le sombre, qu'il vide sa hargne et ce qu'il a subi, encaissé aujourd'hui, encore, le beau diable.
Je sais qu'il faut que les coups pleuvent, pleuvent bien sur quelqu'un.
Et qu'il n'y a que moi, ce soir, comme tous les soirs, pour prendre la radée.
C'est la loi du travail, la vie qui travaille.
extrait de Sombre Aux Abords (Quidam) Julien D'Abrigeon pp103/105
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