mardi 1 décembre 2015

Tu connais cet état...

  Un matin, Antoine retrouva ces trois mots sur ses lèvres, balbutiés par le sommeil après avoir traversé saharas et océans, chaque syllabe - loué ! - encore imprégnée - soit ! - d'un parfum douceâtre - Dieu ! - qui était peut-être celui du jardin dont il avait été chassé, un jardin qui dans sa mémoire s'appelait encore Pont-Saint-Esprit. Il n'avait pas assez loué Dieu, apparament, préférant adorer une fausse Vierge qui ne serait jamais sa poupée. le réveil indiquait cinq heures dix. Sous ses fenêtres, un camion pila dans un grincement de pistons, et les éclats de voix des éboueurs chassèrent définitivement les bruits pasemés de la nuit. Ses draps, sur lesquels la couverture faisait boule, collaient à son corps transpirant.
  Une image se forma alors devant lui, sur le mur, ou sur sa rétine, il n'aurait su le dire, une image si saccadée dans sa manifestation qu'elle en était presque gaie. Comme au temps du pain maudit, quand il lui suffisait de mâcher un quignon pour décrocher de tout. Un visage ? une fleur ? les deux à la fois, par intermittence ou fusion ? Une ouverture apparut dans la vision, aux bords imprécis, d'où sortit un souffle rauque et, oui, visible, qui aussitôt y retourna, mais pas seul, avec un peu de lui, d'Antoine, mais sans douleur. Bouche rebelle au sein d'une autre bouche, la fisure se mit à tourner, et le mouvement concentrique l'aspira un peu plus, lui dont les membres semblaient exclusivement composés de sable humide. Puis le voyage devint violence, il ne fut plus question ni de vouloir ni de pouvoir, de nouvelles combinaisons entre le monde et lui prirent le relais de sa conscience. Souvenirs et prémonitions comme autant de figures géométriques, toiles tissées hors les lois de la perspective, fantaisies arachnéennes, variations radieuses, vibrantes, avec pour seule ambition la tombée des masques, l'étreinte de la gloire et le décollement des sens. loué soit dieu, vomit-il par à-coups après s'être levé précipitamment, tandis que le battant frappait les deux cloches de son réveil pour annoncer qu'il était midi.
© Patrick Imbert

extrait de Tous les diamants du cielClaro, Actes Sud, pp. 143/144

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