lundi 28 avril 2014

Où vont les canards quand le lac est gelé ?

 Le taxi que j'ai pris était un vieux tacot qui sentait comme si on avait dégueulé dedans. Si je vais quelque part tard le soir c'est toujours dans un de ses trucs vomitifs. En plus, dehors, c'était tout calme et vide, spécialement pour un samedi soir. Je voyais à peu près personne dans les rues. Juste de temps en temps un mec et une fille qui traversaient au carrefour en se tenant par la taille et un petit groupe de loubards avec leurs copines, tous se marrant comme des baleines pour des trucs sans doute même pas drôles. New York c'est un endroit terrible. Quand quelqu'un se marre dans la rue ça s'entend à des kilomètres.  On se sent tout seul et misérable. J'arrêtais pas de me dire que j'aurais tellement aimé rentrer à la maison et discuter le coup avec la môme Phoebé. Mais au bout d'un moment, finalement, le chauffeur et moi on s'est mis à parler. Son nom c'était Horwitz. Un type bien mieux que celui de l'autre taxi. Alors j'ai pensé que peut-être il savait, lui. Pour les canards.
  J'ai dit " Hé, Horwitz. Vous passez jamais près du petit lagon, dans Central Park ? Du côté de Central Park South ?
  - Le quoi ?
  - Le lagon. Une sorte de petit lac. Où sont les canards. Vous voyez ?
  - Ouais, et alors ?
  - Ben vous voyez les canards qui nagent dedans ? Au printemps et tout ? Est-ce que par hasard vous sauriez pas où ils vont en hiver ?
  - Où ils vont qui ?
  - Les canards. Si jamais par hasard vous saviez. Est-ce que quelqu'un vient avec un camion ou quoi et les emporte ou bien est-ce qu'ils s'envolent d'eux-mêmes - pour aller vers le Sud, par exemple ?"



in L'attrape-coeurs, J.D. Salinger, chapitre 12, pp 102/103, Livre De Poche, traduction Annie Saumont

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