mardi 10 décembre 2013

le roman le plus mystérieux du XIXe siècle

  Il fit élaborer un projet de loi relatif à l'abrogation de la pénalité ordinairement encourue pour les adultères, à laquelle il substituait un supplice unique dans les annales de l'humanité. Et il présenta, à la Chambre, la défense de son projet dans un discours dont l'écourtement des mots provoqua des remous chahutatoires à tous les centres et à tous les extrêmes. Il commença ainsi: " Mes, le gouv de la Rép ne doit négl auc occ d'amél la sit mor du peup." La sténographie fut en déroute et il se fit un calme, parmi l'assemblée, qui ressembla à une congélation du silence. "Oui, mes, reprit-il, Dieu dit un jour: Tu seras pun par où tu aur péch. Eh bien, ici bas, la rép des dél n'est pas touj conf à la par div." Un vacarme en fa majeur accueillit ce début; la sonnette du président acheva de branle-basser l'auditoire. Mauri dut recommencer, en une prononciation compréhensible. "J'ai remarqué que tous nos discours sont d'une longueur plusieurs fois kilométrique. Pourquoi ne point les abréger en coupant les mots en deux ?" Puis il continua, bafouilla, corrigea ses phrases lorsqu'il s'y glissait des répétitions. Il disait: "Pardon, il y a deux fois le mot infidèle dans le membre de phrase que je viens de prononcer, je me reprends." Et il remplaçait le mot répété par un synonyme. Tout son projet fut adopté unanimement. Le paragraphe principal était ainsi conçu: "Quiconque sera convaincu d'adultère aura à subir l'amputation partielle du membre avec lequel le crime aura été commis. L'amputation ne pourra dépasser un centimètre. En cas de récidive, l'amputation sera de deux centimètres. Le modèle de l'instrument de supplice présenté par le gouvernement est adopté."

in le Tutu, Princesse Sapho, pp 123/124 (Tristram)

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