mercredi 20 novembre 2013

j'ai crevé toutes mes peurs...


    C'était avec une joie non dissimulée que je mettais à nu l'obscénité de mes chairs intérieures. Je creusais ma peau, je cherchais l'énigme, la connaissance mouvante, le monstre suspect, l'intime débauché, dessous mes bubons perforés, cette force vive comme un ventre à ouvrir. Découvrir les chairs oui, cet indicible qu'on ne voit jamais, la face cachée sombre et noire. L'horreur de ce bouillonnement désordonné, je la voulais, c'est elle que je ne cessais de traquer. Je me retroussais comme un gant, myologie grandeur nature que j'inventais en me dilapidant. Je me scalpais moi-même, devenant ainsi inutilisable, mauvaise machine, en dehors de la grande industrie... Et les scarifications béantes que je laissais traîner sur mes tissus étaient comme autant de preuves de mon étrangeté et de ma différence. Car je me condamnais volontairement à refuser cette bonne santé épargnante, indispensable pour la vie professionnelle, nécessaire à la mascarade grotesque de la comédie sociale. En bonne santé, les autres l'étaient plus par terreur que par choix. Je retenais mon mal comme une définition. Aucun devoir pour moi de rendre compte, mon visage affichait de lui-même mon refus, c'était bon. Ils me nommaient coupable et diabolique, de me laisser ainsi envahir par mon pityriasis. Je me savais lucide, en partance vers une pure intériorité, proche de l'indifférence, vers une toxicité insoutenable. Je n'avais plus de quoi échanger avec l'extérieur, j'inquiétais encore, mon corps n'affichait aucune résistance, non, je ne retenais rien de ce qui s'emballait, je laissais mille chevaux galoper sous ma couenne, la bride lâchée... le gaspillage en plein sur mon étoffe, au milieu de mes plaies... 

    in La Démangeaison , Lorette Nobécourt , Sortilèges , pp 95/97

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