samedi 10 novembre 2012

d'où le lettrisme

 D'où le "lettrisme": "l'avant-garde de l'avant-garde." Isou débuta par la poésie. La création étant la forme la plus haute de l'activité humaine, et l'art la plus haute forme de la création, la poésie était donc la plus haute forme d'art.
 La phase amplique de la poésie, comme Isou l'avait établi à dix-sept ans, s'acheva avec Victor Hugo. Puis vint Baudelaire qui détruisit l'anecdote au profit de la forme poétique; Verlaine, lui, détruisit la forme poétique au profit du seul vers; Rimbaud détruisit le vers au profit du mot; Mallarmé perfectionna le mot et le transforma en son - et puis, dépassant avec insouciance la mécanique de l'invention, Tristan Tzarza détruisit le mot au bénéfice du rien. Sa devise était "Dada ne signifie rien". Isou la corrigea: "rien" était une phase, pas un but. Oui, le mot ne signifiait rien, une salle pleine de beaux parleurs était une salle pleine de confettis - ainsi, du mot, Isou sauvait la lettre. Il représenterait et dirigerait une phase où la réduction du mot, et du monde, déboucherait sur le rien. Il réduirait de force le mot à la lettre, au pur signe, apparemment vide de signification, mais en vérité d'une fécondité sans limites.


 Il enverrait le signe se perdre dans l'éther. Il flotterait au-delà du temps, à travers l'histoire, dans la conscience et hors d'elle, jusqu'à ce qu'il ait repoussé toutes les anciennes significations. - et puis, avec sa charge magnétique inversée, le signe attirerait de nouvelles significations. La lettre serait apte a composé un nouvel alphabet et un nouveau langage, un langage qui pourrait dire ce qui n'avait jamais été dit, sur des tons inouïs. Sur le plan de la mécanique de l'invention, cela signifierait que la création de l'anecdote, le récit de nouvelles histoires seraient une fois encore possibles. Autrefois, on pouvait raconter et vivre les histoires. Parce qu'une histoire raconte un monde, un monde nouveau pouvait être créé. Et parce que Isou ne parlait pas seulement de l'histoire de la poésie, mais de la poésie de l'histoire - de la conscience qui, comme le souvenir, est à la fois faite de temps et hors de lui -, cette transformation absolue pouvait intervenir en un éclair. Ce serait comme le voyage dans le temps d'une pièce radiophonique de science-fiction des années quarante: "je m'absente pour un millier d'années", dit le savant à son assitant; "mais cela ne vous paraîtra durer qu'un instant".

greil marcus, Lipstick Traces, une histoire secrète du XXe siècle , folio,pp 308/309 (traduction guillaume godard)


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